GALILÉE, LE MÉCANO

AUX ORIGINES DE LA DÉMONSTRATION SCIENTIFIQUE

Galilée le Mécano, mis en scène par Gloria Paris

Galilée, le Mécano nous plonge dans la vie de Galileo Galilei, célèbre mathématicien et physicien pisan, dont les découvertes ont révolutionné l’histoire de la pensée et des idées en validant les théories coperniciennes.

*****

Galilée naît en 1564, dans une époque marquée par les grandes découvertes, l’apparition de l’imprimerie, la réforme protestante ou encore l’officialisation des langues populaires : la Renaissance. L’Europe, qui s’éclaire peu à peu après mille ans « d’obscurité » (le Moyen-Âge), constitue un terreau propice pour la formation de la pensée scientifique : l’Homme développe des instruments de mesure tels que l’astrolabe ou la lunette. Cette « lunette », Galilée en entend parler par son ancien étudiant : elle aurait été créée par un opticien hollandais pour observer des objets éloignés. Désireux lui-même d’observer les astres, il perfectionne le modèle pour qu’il puisse grossir les objets jusqu’à trente fois. Galilée, dans la lignée de Nicolas Copernic et de Giordano Bruno, est « hélio-centriste ». Il renie le dogme catholique du géocentrisme – théorie héritée d’Aristote plaçant la Terre au centre de l’Univers – qui constitue alors la norme, refuse l’idée d’adapter la réalité aux croyances et cherche à confronter la théorie et l’expérience pratique. À l’inverse d’Aristote qui se demande pourquoi (philosophique), Galilée, lui, s’intéresse au comment (physique). Dans son Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, publié en 1632, il prend position pour la vision copernicienne et est mis à l’Index par l’Église, qui l’oblige à se rétracter publiquement sous peine d’être brûlé. Galilée, le Mécano retrace le parcours de ce fabricant d’horoscopes devenu un symbole universel de la liberté de penser.

Marco Paolini n’est pas le premier auteur à s’être intéressé à la vie tourmentée du mathématicien. Bertolt Brecht, dans La vie de Galilée, en dressait déjà le portrait. Mais à travers la pièce (qu’il retravailla toute sa vie), c’était sa propre biographie que Brecht racontait, son propre rapport aux autorités et à ses pairs qu’il dénonçait. Le texte de Paolini se veut plus « objectif ». Co-écrit avec Francesco Niccolini (spécialiste du film documentaire) et Michela Signori (dramaturge), il est adapté dans cette version par Jean Alibert (comédien) et Gloria Paris (metteuse en scène). En France, c’est la première fois qu’il est monté. Marco Paolini n’a pas pour habitude de céder ses textes à d’autres : c’est un auteur-acteur, spécialiste du théâtre de la narration, confrère de Dario Fo. Il conçoit, écrit et met en scène ses spectacles, des monologues rédigés en langue vénitienne et destinés à une interprétation sobre : sans maquillage, sans costume, sans mise en scène. Gloria Paris et Jean Alibert sont deux habitués, eux aussi, de ce type de théâtre. La metteuse en scène avait créé en 1994 la compagnie Chant V. pour promouvoir un « théâtre de narration et de décryptage du réel ». L’acteur, quant à lui, a suivi une formation de commedia dell’arte avant de collaborer avec Dario Fo.

Aussi la dramaturgie du spectacle s’appuie-t-elle sur les éléments-clés du théâtre de la narration : la représentation commence avec le commentaire par l’acteur d’une image tirée du livre de Galilée, afin d’en exposer le contexte. Cette dimension pédagogique, omniprésente dans la pièce, nous permet avant tout de comprendre l’époque du mathématicien et l’univers dans lequel il évolue : c’est la condition sine qua non pour percevoir l’enjeu de sa découverte. À cette perspective didactique s’ajoute l’envie de cibler un large public, de raconter l’Histoire de sorte qu’elle soit intelligible par tous. Jean Alibert prend soin de toujours re-contextualiser, de donner des repères temporels. C’est ainsi qu’il nous informe que Galilée est « né la même année que Shakespeare » ou encore que le métier de mathématicien était décrié à l’époque, comme le serait celui de l’acteur aujourd’hui. Ces anecdotes, enrichies par de nombreux anachronismes (références musicales à la culture populaire occidentale, jeux de mots), permettent de ne jamais perdre le spectateur, de l’engager pleinement dans l’Histoire. C’est, en ce sens, un spectacle de « vulgarisation scientifique » : ce phénomène extrêmement populaire sur les réseaux sociaux qui consiste à rendre accessible à tout le monde une notion scientifique, y compris à ceux qui n’auraient pas les connaissances pré-requises.

La mise en scène, comme le veut le théâtre de Paolini, est relativement sobre. Le décor se compose d’une arène circulaire délimitée par des torches. Il pourrait s’agir, symboliquement, des étoiles que Galilée observe. Ou de la solitude, de l’emprisonnement auxquels il fait face. Le narrateur, au centre, se retrouve pris au piège de cette arène qui devient son aire de jeu : il la traverse, la contourne ou s’y installe. Il ne cherche jamais à créer l’illusion dramatique, l’adresse aux spectateurs est constante. Pour briser le quatrième mur, la lumière joue également un rôle important. Elle reste longuement allumée, donnant l’idée d’une conférence plus que d’un spectacle. Les spectateurs sont d’ailleurs invités dès le départ à participer, en levant les mains ou en lisant. Et lorsque les lumières s’éteignent finalement, c’est pour créer une ambiance de cérémonie, presque mystique, presque celle d’une messe que nous viendrions célébrer ensemble. La sobriété du costume et le peu d’accessoires permettent de mettre en exergue certains passages du spectacle, notamment celui de l’abjuration où le narrateur se coiffe d’un chapeau.

Peut-être alors faudrait-il voir dans ce fragment le point d’orgue de la représentation ? Cette abjuration, qui permet à Galilée de rester en vie, constitue-t-elle une humiliation ou n’a-t-elle pas d’importance ? Le synopsis du spectacle semble valider cette orientation puisqu’il invite à nous demander pourquoi Galilée n’a t-il pas été brûlé ? Mais le spectacle n’y répond pas vraiment. Comme Galilée, Gloria Paris ne semble pas s’être intéressée au pourquoi, mais plutôt au comment. C’est un spectacle qui nous dit comment Galilée n’a pas été brûlé. Si l’objectif de l’équipe artistique était de présenter Galilée, de le faire découvrir aux spectateurs de manière objective, la mission est réussie. Si, en revanche, ils cherchent à s’interroger sur ses idées et sur la moralité de ses choix, alors il manque sans doute d’une prise de position. Si l’objectif du théâtre de narration (et plus particulièrement du travail de Dario Fo) est de proposer un théâtre populaire, qui constitue un pied de nez au révisionnisme historique des élites, le travail de Jean Alibert et Gloria Paris s’en éloigne en cet aspect quelque peu.

Très récemment, la découverte d’une lettre écrite par Galilée – dans laquelle il réécrit ses propos pour convenir à l’Église – nous invite à nous interroger sur la nature des rapports qu’il entretenait avec les puissants, et plus particulièrement avec le pape Urbain VIII, son « ami ». Alors, le chef de file de la liberté de penser serait-il aussi subversif qu’on ne le prétend ? Quand bien même la réponse à cette question demeure floue, Galilée, le Mécano nous donne un aperçu rigoureusement scientifique de la vie du personnage.

Le spectacle est à découvrir au Théâtre de la Reine-Blanche jusqu’au 28 octobre 2018.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *