LAURENT MUCCHIELLI

OÙ SONT PASSÉS LES INTELLECTUELS DE GAUCHE ?

laurent mucchielli

Aujourd’hui je suis en compagnie de Laurent Mucchielli. Juriste, historien, sociologue de formation universitaire et directeur de recherche au CNRS, Laurent est un intellectuel français engagé politiquement à gauche et dans l’écologie.

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Il est notamment connu pour ses travaux sur l’histoire des sciences sociales, sur la délinquance et les politiques de sécurité, sur les émeutes et plus récemment sur la crise du Covid – travail qui lui a valu une très forte ostracisation dans le débat politico-médiatique. Mais comment en arrive-t-on à qualifier un intellectuel de gauche de complotiste d’extrême droite ? Pourquoi parmi cette classe bourgeoise de gauche, si peu de voix s’élèvent ? Comment la plupart de ces intellectuels sont-ils devenus les nouveaux chiens de garde du pouvoir ? Où est passée la « vraie gauche », celle qui s’est construite en opposition aux mécanismes de domination ?

« Il faut analyser les crises à la fois pour ce qu’elles révèlent, pour l’Histoire qui s’y accélère et pour ce que cela nous annonce. »

Les trois pépites de cet échange :
1) J’aime beaucoup quand Laurent dit que les crises n’inventent rien, qu’elles ne font que révéler des choses et permettre une accélération de l’Histoire (dans le sens voulu par ceux qui mènent la barque, bien entendu). Dans le cas de la crise sanitaire, c’est évidemment vrai de la situation dans les hôpitaux : le covid n’a fait que mettre en exergue le manque de moyens et la précarisation avancée des métiers du soin ; c’est également vrai du point de vue des rapports de force entre classes sociales. Il y avait déjà par le passé une forte tendance chez certains intellectuels dits « de gauche » à faire preuve de mépris social, à penser que le peuple était ignorant et qu’il méritait d’être instruit, pris par la main – parfois même de façon peu consciente. Si « être de gauche » désigne le fait de vouloir changer de modèle de société, de rechercher davantage d’égalité et de justice sociale, on comprend aisément au regard de notre réalité que cette gauche-là n’existe pas ou du moins, n’existe plus.
2) Il y a depuis quelques années une généralisation, une banalisation des conditions de crise et d’états d’urgence – Laurent nous rappelle qu’ils étaient auparavant très ciblés. Cette généralisation permet d’une part une suspension de la démocratie au nom de la crise – il est nécessaire d’être tous unis derrière le chef, de « faire front » ensemble contre la difficulté rencontrée ; elle permet d’autre part d’assurer une continuité dans la pensée pour ceux qui défendent le pouvoir prétendument de façon temporaire et donc de maintenir le rapport de force tel qu’il est, tout en créant un argument d’autorité qui rend toute contestation impossible et qui fait que plus personne n’est en mesure de prendre la défense des classes populaires.
3) Les classes populaires elles-mêmes peuvent difficilement s’organiser comme cela pouvait être le cas il y a encore quelques décennies car toutes les formes de collectif tendent à disparaître. Dans les entreprises, les nouvelles formes de management viennent systématiquement « casser » les collectifs en remodelant les équipes régulièrement, en remplaçant le métier par l’emploi, en créant de la compétition entre les personnes. Et à l’extérieur des organisations professionnelles, les lieux qui permettent de faire collectif se réduisent comme peau de chagrin : souvenons-nous de l’extrême facilité avec laquelle les cafés ont été fermés pendant les confinements alors qu’il s’agit pourtant de lieux privés ! Et je ne parle même pas des lieux de culture sur lesquels l’Etat a toujours la mainmise d’une manière ou d’une autre.

Merci à tous d’avoir écouté cet épisode et à la semaine prochaine pour une nouvelle rencontre hors des sentiers battus.

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