LE 6B

OUTIL DE RENCONTRE ENTRE ARTISTES ET CITOYENS

Le 6B, tiers-lieu à Saint-Denis

Installé dans un ancien bâtiment industriel de Saint-Denis depuis 2010, le 6B se définit comme « un lieu de travail, de culture et d’échanges autogéré ». Devenu un véritable centre d’art contemporain et de diffusion culturelle, il accueille plus de 200 structures et artistes résidents et propose toute l’année de nombreux événements. Rencontre avec Hélène Lust, chargée de médiation culturelle et de gestion au sein de ce lieu atypique.

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Peux-tu m’expliquer brièvement ce qu’est le 6B ?
Le 6B est un lieu de création et de résidence qui accueille aujourd’hui 202 structures, auxquelles il offre un espace de travail. Il peut s’agir d’artistes plasticiens, de compagnies de théâtre ou de danse, de graphistes, de paysagistes, d’architectes. Pas mal de métiers sont représentés, c’est très varié. L’association occupe un bâtiment de 7 000 m2 depuis bientôt dix ans.

Comment êtes-vous arrivés ici ?
Ce sont les anciens bureaux d’Alstom. Quand ils ont quitté le lieu, la région Île-de-France a lancé un appel à projets pour un festival. Mais en 2008, à cause de la crise financière, ils ne sont pas allés au bout. Julien Beller, le président du 6B, devait participer au festival. Il avait repéré le lieu et connaissait d’autres personnes qui avaient besoin d’espace. Il a pris les choses en main, il est allé voir le propriétaire et lui a demandé la permission d’occuper les deux premiers étages.

Et toi, quand es-tu arrivée dans l’équipe ?
Il y a un peu plus de deux ans et demi. Le projet avait déjà pris une belle dynamique. Sur les dix ans, il a connu plusieurs phases. D’abord une phase de construction du lieu, suivie d’une période beaucoup plus festive et aujourd’hui, nous sommes dans un moment d’ancrage sur le territoire.

L’équipe a beaucoup tourné, en dix ans ?
Non, pas beaucoup. Elle s’est agrandie à un moment car pendant plusieurs années, le 6B a produit son festival, La Fabrique à Rêves. C’était un événement énorme, qui durait quatre mois non stop (de juin à septembre) et faisait venir beaucoup de monde. C’est d’ailleurs comme cela que le lieu s’est fait connaître du grand public. Alors il a fallu embaucher plus de monde pour soutenir cette activité de diffusion. Puis, en 2015-2016, il y a eu un gros roulement. Personne de l’ancienne équipe n’est resté.

À quoi est dû ce roulement ?
À un épuisement moral. Je ne connais pas bien l’histoire, cela me précède. Cela ne s’était pas très bien passé. Au 6B, il y a une petite équipe salariée mais nos employeurs, ceux qui siègent au Conseil d’Administration, ce sont les résidents. Ce qui est très compliqué à gérer, c’est le fait que nous soyons si nombreux. Cela diminue la puissance du collectif. À plus petite échelle, les processus de décision sont plus simples. À 200, tu te dis toujours que quelqu’un va y aller et donc, les gens se dé-responsabilisent. C’est un projet commun, mais difficilement un projet collectif. Ce sont ceux qui ont envie de s’impliquer qui le font.

Comment sont prises les décisions ?
Il y a un Conseil d’Administration élu chaque année et, en plus de cela, nous avons créé des comités par centres d’intérêts : arts plastiques, arts vivants, projection. Ce sont eux qui sont décisionnaires. Dans les grandes assemblées générales, en revanche, tout le monde va voter. Nous avons un fonctionnement très horizontal, mais qui est aussi très handicapant : il faut trouver des dates, réunir tout le monde. Il y a des opportunités que l’on rate. Mais, avec le temps, nous apprenons vraiment à nous gérer. Nous avons de plus en plus d’outils.

« Ce qui est génial, c’est que chaque interlocuteur que tu auras au 6B te dépeindra un projet différent. C’est cela, aussi, les projets collectifs : chacun se l’approprie comme il a envie. »

Vous êtes tous salariés ?
Au sein de l’équipe, oui. Mais il y a énormément de bénévoles autour de nous. Déjà, les artistes qui sont résidents. Nous leur demandons d’avoir une action bénévole, que ce soit en menant des ateliers avec les enfants d’à-côté, en nettoyant le lieu, en fabriquant des petites choses pour ceux qui sont bricoleurs. Tout fonctionne à l’énergie humaine. Il y aussi des bénévoles sur des événements ponctuels, ou des personnes qui nous rejoignent pour un ou deux mois parce qu’elles sont curieuses ou qu’elles ont envie de s’investir. Et, puisque l’équipe salariée n’est pas suffisante pour faire fonctionner le lieu, nous la complétons avec des stagiaires et des services civiques. C’est super, car ce sont de jeunes énergies débordantes, toujours prêtes à aider, mais c’est aussi très fragile. Ils arrivent sur des postes qu’ils prennent du temps à appréhender et, quand ils sont complètement intégrés et autonomes, ils partent et nous devons recommencer.

Quel est ton parcours personnel ?
J’ai fait mes études à Lille, un master en gestion de projets artistiques. Puis j’ai travaillé à Marseille avec la compagnie Philippe Car, l’Agence de Voyages Imaginaires, pendant un an. Quand mon poste s’est terminé, je suis tombée sur l’annonce du 6B, j’ai postulé et je suis arrivée là. J’étais assez attirée par le fait que le lieu se trouve à Saint-Denis, car j’ai toujours plus ou moins travaillé en marge des grosses métropoles. À Marseille, j’étais dans les quartiers nord et j’avais aussi travaillé à Roubaix, dans la région de Lille. J’avais entendu dire que l’activité associative était très développée sur Saint-Denis.

Tu as tout de suite accroché ?
La première fois que je suis venue, il pleuvait. Je m’étais trompée de sens, j’étais arrivée par la Zone Industrielle de la Briche. Je me retrouvais devant un bâtiment sombre, vétuste. C’était super glauque ! Puis, de rencontre humaine en rencontre humaine, j’ai compris le projet global. Ce qui est génial, c’est que chaque interlocuteur que tu auras au 6B te dépeindra un projet différent. C’est cela, aussi, les projets collectifs : chacun se l’approprie comme il a envie.

Tu es donc chargée de médiation culturelle et de gestion. En quoi consiste ton travail au quotidien ?
Les jours ne se ressemblent pas, nous avons tous des postes « couteau-suisse » ! Je m’occupe de relayer les appels à projets, de transmettre aux artistes les opportunités de travail. Nous, en interne, nous répondons aussi à beaucoup d’appels à projets en lien avec des artistes, des résidences d’auteurs, de plasticiens. Nous coproduisons dix expositions par an, avec des temps de travail et de mise à disposition gratuite. Il faut mettre en place et suivre les projets, les expositions d’art contemporain, les visites guidées.

C’est toi qui fais les visites guidées ?
Au début, oui. Maintenant, elles sont faites de plus en plus par les commissaires d’expositions, qui connaissent beaucoup mieux les œuvres, leurs sujets. Ce sont eux qui choisissent les artistes qui vont exposer, la trame artistique. Avant, nous ne prenions pas le pli de leur demander mais nous nous sommes rendus compte qu’ils adoraient cela et qu’ils étaient super à l’aise avec les publics.

L’association est donc gérée par les artistes, mais avec quel modèle économique ? Vous êtes subventionnés ?
Nous fonctionnons à 80% en autonomie financière. Les artistes payent une participation aux frais de 12€ par mètre carré, ce qui représente environ 50% de nos revenus. Ensuite, il y a les privatisations et les mises à dispositions pour les collectifs ou les entreprises. La part d’argent public que nous recevons est de 20%. La région Île-de-France est notre plus gros « subventionneur » car nous avons réussi à rentrer dans un cadre, celui des « fabriques de culture ». Cela nous permet d’obtenir 40 000€ par an. La ville de Saint-Denis participe aussi. Nous ne payons pas de loyer mais nous devons entretenir le bâtiment. Comme il est vétuste, cela coûte très cher. Depuis deux ou trois mois, nous avons lancé une coopérative pour racheter le lieu au bailleur immobilier qui le possède, et le réhabiliter. Il commence à se dégrader de plus en plus, il faudra faire d’importants travaux. La ville fera partie de la coopérative. Il y aura aussi Plaine Commune, qui est une communauté d’agglomérations.

Combien vaut un bâtiment comme celui-ci ?
Je n’ai pas l’information, il y a des négociations en cours avec le propriétaire.

Vous avez déjà essayé les financements participatifs ?
Oui, pour la rénovation de la salle du rez-de-chaussée. Les mises aux normes sont toujours très coûteuses. Nous avions reçu un arrêté préfectoral nous demandant de n’organiser que des événements en extérieur, car le bâtiment n’était pas aux normes. Mais c’était important pour nous de garder un poumon à l’intérieur, une agora, et de mettre le restaurant aux normes ERP. Nous avons lancé une campagne de crowdfunding en 2017 et réussi à récolter l’argent nécessaire. Nous avons été soutenus par les voisins, qui ont décidé avec le syndicat de copropriété d’augmenter leurs charges ; mais aussi par des lieux comme les Grands Voisins ; et puis par tous les habitués qui aiment cet endroit. Mais pour le projet futur, ce serait dérisoire. Il nous faut l’aide de mécènes et des politiques publiques.

Quel type de public accueillez-vous ? Il y a beaucoup de « voisins » ?
Tout dépend de la programmation proposée. Le 6B s’est beaucoup fait connaître grâce aux soirées électro qu’il organisait. Cela faisait venir beaucoup de parisiens qui voulaient faire la fête. Mais les artistes n’étaient pas trop en phase avec cette programmation très événementielle. Tout a alors été repensé dans un contexte plus familial, autour des musiques du monde, du cirque, du spectacle vivant. Les jauges sont devenues beaucoup plus petites, notre programmation artistique s’autofinance, le public est devenu plus local et cela convient mieux aux résidents. Ils sont très attachés au lieu.

Parmi les 202 résidents, il y a beaucoup de plasticiens. Est-ce un choix ?
Oui, au moins 50% des artistes qui occupent des ateliers sont des plasticiens. Cela s’est fait comme cela. Julien a cherché qui pouvait être intéressé par le lieu et les plasticiens sont ceux qui étaient le plus en demande. Ils sont vraiment en manque d’espaces, avec des métiers très précaires et des rentrées d’argent aléatoires. Si cela avait été des associations écologistes ou des gens de l’Économie Sociale et Solidaire, le 6B serait complètement différent aujourd’hui.

Combien d’événements organisez-vous chaque année ?
En 2019, il y en a eu beaucoup ! Il y a, tous les jeudis, des apéros-concerts ouverts à tout le monde, organisés par la cantine qui gère le midi. Puis nous organisons des événements ou privatisons le lieu presque tous les week-ends. Ce week-end, par exemple, nous accueillons un festival de danse. Il y a toujours soit des concerts, soit des fêtes avec des collectifs qui font venir un DJ.

« Nous voulions que le 6B soit le plus multiforme possible. »

Cette cantine, justement, a l’air d’occuper une place importante au sein du projet. Elle est ouverte tous les midis, du lundi au vendredi, c’est bien cela ?
Oui. C’est là que tout se passe. C’est un restaurant qui propose des plats peu chers et de qualité. C’est là que tout le monde échange et se rencontre. Ici, chaque artiste peut avoir son box et son intimité. Mais, si nous voulons être un lieu collectif, nous avons aussi besoin d’espaces pour nous retrouver. La cantine est l’excuse parfaite pour créer des rencontres. À l’avenir, nous aimerions développer un système de parrainage pour les nouveaux artistes qui arrivent : qu’ils aient quelqu’un pour les accueillir et les amener à la cantine.

Il y a aussi des personnes de l’extérieur qui viennent déjeuner ?
De plus en plus, oui. Des employés de petites entreprises. En face, il y a aussi un lieu de résidence, La Briche, qui accueille des artisans. Ils sont une quarantaine, c’est un petit village. Certains viennent aussi manger ici le midi. Le jeudi, il y a de plus en plus de voisins qui viennent boire un coup. C’est un nouveau quartier, avant il n’y avait rien, alors les gens sont contents.

En tant que salariés, vous respectez des horaires. Est-ce que les résidents ont aussi des horaires d’occupation précis ?
Non, le lieu est ouvert tout le temps. Mais à partir de 20H00, il y a un gardien. Un artiste peut travailler toute la nuit dans son atelier, s’il le souhaite. Nous voulions que le 6B soit le plus multiforme possible. Parmi les artistes, certains ont des emplois alimentaires dans la journée et ne peuvent venir que le soir. Le 6B est un lieu qui vit tout le temps.

Comment communiquez-vous en interne ? Vous vous envoyez des mails ?
Nous envoyions beaucoup de mails avant, mais c’était un problème car les résidents ne les lisaient pas. Maintenant, nous avons mis en place des affichages dans les étages et nous leur adressons une newsletter interne une fois par semaine. Nous avons préféré canaliser toutes les informations plutôt que de leur écrire tous les jours. La lettre est divisée en deux : une première partie autour des informations de l’association – les rendez-vous, la programmation – et une deuxième partie avec les appels à projets et les offres d’emplois. Ces opportunités font que que 60 à 70% des résidents ouvrent la lettre. Ils se sont aussi créé un groupe Facebook pour des échanges plus informels.

J’ai lu sur votre site internet que vous cherchiez à « proposer une culture à la portée de tous ». C’est quoi, une culture à portée de tous ?
Le fait de proposer presque tout gratuitement, d’enlever le frein de l’argent. De montrer des œuvres un peu décalées, aussi. Il y a des expositions où les visiteurs peuvent toucher les œuvres d’art. Le fait de pouvoir s’approcher et de parler aux artistes déconstruit la peur qu’ils avaient. Nous sommes vraiment fiers de certaines expositions, sur lesquelles nous faisions venir des scolaires – donc, des publics qui n’ont pas choisi d’être là – et pour lesquelles les enfants revenaient le week-end avec leurs parents, parce qu’ils avaient adoré. Pour la prochaine exposition, par exemple, les artistes sont en train de construire tout un décor de clip de R’n’B des années 90. Ils vont mettre des caméras à disposition et les groupes qui viendront pourront interagir avec le décor, se filmer dedans, repartir avec leurs images et véritablement s’approprier cette culture. Il y a aussi des expositions au format plus classique, mais comme les artistes sont toujours là pour expliquer leur démarche, c’est difficile de passer à côté de l’œuvre.

Cette exposition dont tu parles, quand est-ce qu’elle a lieu ?
Comportement TV ? Cela commence le 13 septembre, jusqu’à la fin du mois. Il y a huit artistes. Ils veulent aussi pousser l’exposition, organiser une fête en bas, croiser la musique avec les arts visuels, y faire des performances.

Vous fidélisez vos publics d’exposition en exposition ?
Ce sont plutôt les professeurs que je fidélise. Il y a des classes qui viennent sur presque toutes les expositions, alors les élèves sont très habitués au 6B, ils savent qu’ils sont chez eux. Quand il fait beau, les professeurs arrivent en avance pour que les élèves puissent se poser sur la plage. Ils se sont vraiment appropriés le lieu en dehors de la salle d’exposition. Pour le reste, c’est difficile à dire car il n’y a pas une personne qui fait les permanences. Les publics que j’ai fidélisés sont des groupes, pas des individus. Il y a un terme politique pour les désigner, en médiation, que je n’aime pas du tout : on les appelle des « publics captifs ».

Que penses-tu du Ministère de la Culture, justement : est-ce qu’il fait son travail ?
Pour être honnête, nous ne sommes pas très en lien avec eux. La seule fois où j’ai eu un rendez-vous là-bas, c’était pour un projet qui s’appelle le Pass Jeunes, une bourse de 500€ attribuée sous forme d’application à chaque jeune de 18 ans, qu’il peut dépenser pour acheter des livres, des CD, aller au cinéma ou commencer une pratique artistique. Ils voulaient des lieux-test et la Seine-Saint-Denis en faisait partie. Nous vous avons été invités pour partager notre vision de terrain. Mais sinon, nous ne sommes pas trop en contact. Le 6B est un lieu atypique, pas forcément très reconnu. C’est le Ministère de la Culture qui finance les DRAC et, pour le moment, nous ne sommes pas aidés par la DRAC. Nous essayons. Faire du bricolage, c’est bien mais c’est tellement plus valorisant d’avoir un minimum de confort budgétaire pour monter des projets plus ambitieux.

N’avez-vous pas peur, face à un président comme Emmanuel Macron, que ce genre de lieux disparaissent ?
Non, c’est plutôt le contraire. Il y a une grande mode des friches temporaires, qui sont là pour faire tampon dans des zones de la ville abandonnées. Nous, ce n’est pas notre cas. Nous sommes apolitiques. Le 6B est un lieu citoyen qui veut se pérenniser et être un outil à la portée de tous. Nous ne sommes pas dans la contestation comme les squats, nous n’avons pas du tout le même positionnement qu’eux. Je ne dis pas que ces lieux-là ne sont pas bien, c’est important de trouver des espaces pour être libre et faire la fête. Mais ce ne sont pas les mêmes projets, ni les mêmes valeurs. Ce ne sont pas des outils territoriaux.

Quand tu dis que vous êtes apolitiques, est-ce que cela veut dire que vous refusez la contestation politique ?
Non. Chacun fait ce qu’il veut, mais en tant que lieu, nous ne nous prononçons pas sur la vie politique. De la même manière, lorsque nous sommes démarchés par des partis pour des campagnes (comme ce fut le cas pour la France Insoumise), nous refusons. Nous ne voulons pas être associés à un parti, quel qu’il soit. Après, je ne vais pas te mentir : nous sommes à Saint-Denis, avec une mairie communiste. C’est un atout incroyable, ils nous comprennent et nous soutiennent. D’autres lieux, comme Mains d’Œuvres à Saint-Ouen, dont le fonctionnement est pourtant similaire au nôtre, ont beaucoup plus de mal à faire évoluer leur projet, face à une mairie de droite qui leur met des bâtons dans les roues.

Vous avez été actifs pendant le mouvement des gilets jaunes ?
Non.

Quel regard portes-tu sur ce mouvement ?
À titre personnel, je pense que je me suis pas suffisamment renseignée. Quand je dis que nous sommes apolitiques, cela ne veut pas dire que nous n’en parlons pas. Quand il y a des élections ou ce genre de choses, les gens en parlent, à midi justement. Ils échangent. Il y a beaucoup de débats d’idées. Mais le 6B est une personne morale qui ne porte pas d’identité politique.

Je te posais la question car certains médias ont fait le rapprochement entre les contestations des Gilets Jaunes et celles de mai 68. Or, en 68, les lieux culturels occupaient une place prépondérante, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Comment tu l’expliques ?
Les gens avaient besoin d’aller dans la rue. C’est une révolte qui a touché les milieux ruraux, bien plus que Paris. Je viens de Toulouse et j’y suis retournée quatre jours au mois de juillet. En voiture, avec ma mère, j’ai encore vu plein de monde sur les rond-points. À Paris, je n’en vois plus depuis longtemps. C’est un mouvement qui a profondément touché les territoires, peut-être moins accompagné par les intellectuels comme cela a pu être le cas après 68. Les Gilets Jaunes ont été plus ostracisés.

Est-ce que les friches et les tiers-lieux ont une place dans la démocratisation des cultures ?
Dans la démocratisation tout court, même ! En tout cas, si elles ne l’ont pas, elles doivent la prendre. Qu’on le veuille ou non, nous attirons des gens paumés, isolés socialement, qui viennent ici chercher un coin pour se poser, car ils savent que personne ne leur dira rien. Nous voulons que notre lieu soit comme une continuité de l’espace public, qu’il soit le plus bienveillant possible et permette la sociabilisation de ces individus.

Comment définirais-tu l’éducation populaire ?
C’est un terme politique, très ancré dans les années 70-80, avec des mouvements et des formes comme le théâtre-forum.

Du théâtre-forum pourrait avoir sa place au 6B ?
Oui, complètement ! Jusqu’ici, les plasticiens étaient beaucoup plus impliqués dans la vie du lieu, mais nous avons eu la demande interne de résidents du spectacle vivant d’améliorer la salle de danse. C’est moins évident, car les économies dans les arts vivants ne sont pas les mêmes que dans les arts plastiques.

As-tu entendu parler du festival d’éducation populaire « Poussons les Murs » ? Ils ont récemment organisé leur deuxième édition à Montreuil, mais la première avait eu lieu à Saint-Denis.
Oui, au Landy Sauvage. C’est un squat qui reçoit énormément de beaux projets. Ils sont plus dédiés au spectacle vivant. C’est drôle, car je réalise de plus en plus qu’en étant illégal, on est plus libre. Comme c’est un squat, ils ont moins à se soucier des normes de sécurité imposés aux lieux qui reçoivent du public.  Ils sont proches de la population et ont déjà développé plein d’actions, en peu de temps. Nous, dès que nous organisons un événement, nous devons payer la sécurité, nous assurer que le lieu soit aux normes. Ce qui tue les lieux-tiers, ce sont les normes. Nous sommes dans un entre-deux qui n’est pas évident : nous ne sommes pas un squat mais nous ne sommes pas non plus un théâtre ou un musée.

Quelle définition donne le Ministère des « fabriques de culture » ?
Ce sont des lieux qui favorisent la création et l’émergence de cultures nouvelles, parce qu’ils investissent de l’argent dans des expositions et proposent des espaces de travail.

Vous êtes en lien avec le Théâtre Gérard Philipe (Centre Dramatique National de Saint-Denis) ?
Nous sommes en contact, mais pour l’instant il a été difficile de mettre en forme un projet commun. Les équipes se connaissent, il y a une bonne entente. Pourquoi pas, à terme, créer des échanges avec les troupes qu’ils accueillent ? Le problème, c’est qu’ils ont déjà tout ce qu’il faut au TGP : des salles de répétition, des ateliers de construction. Il n’y a pas tant d’intérêt pour eux. Pourquoi pas, aussi, déplacer des expositions là-bas, mais leur hall n’est pas génial. Nous n’avons pas encore trouvé la façon de travailler ensemble, mais l’idée est là.

Et avec les musées et les galeries d’art ?
Il y a des lieux avec lesquels nous organisons des résidences croisées : des résidents du 6B qui rencontrent d’autres artistes, dans d’autres endroits, et ils travaillent dans les deux lieux. Il y a aussi des expositions qui se montent au 6B, puis qui partent ailleurs.

Comment verrais-tu l’évolution du 6B dans les prochaines années ? Quels sont vos grands projets ?
C’est le projet de rachat du bâtiment qui va tout déterminer. Nous souhaitons garder un lieu ouvert, mais il va falloir trouver un vrai modèle économique, car nous aurons beaucoup plus de charges par la suite. Nous ne voulons pas augmenter ce que payent les artistes. Aujourd’hui, il y a des caractéristiques sociales très différentes et c’est ce qui fait la richesse du lieu. Nous le savons, nous le ressentons et nous ne voulons pas toucher à cet équilibre. Il faudra évoluer sans chasser les gens qui sont là.

Vous conserverez le statut associatif ?
Nous avons constitué une SCIC, mais nous avons aussi gardé l’association. En fait, l’association aura toutes les missions de gestion de projets culturels, de médiation sur le territoire. Et la SCIC gérera les locations.

Quel est votre prochain grand événement ?
Il y a le festival de danse ce week-end, les 23, 24 et 25 août : Summer Mood. Ce sont des danseurs qui ont adoré le lieu et ont eu envie d’y proposé un événement, que nous avons coproduit. Il y aura des workshops de danse, des battles, des conférences et des barbecues !

Merci Hélène pour cet échange !

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