LOUISE

CE QUE NOS PENSÉES DISENT DE NOUS

Louise leslie kaplan marina ocadiz

Louise suit la déambulation mentale d’une jeune comédienne, vive et curieuse, au gré des émotions et des questionnements qui la traversent : sa vie amoureuse, ses relations familiales et professionnelles, ainsi que son rapport à la scène et au public.

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La pièce est une adaptation d’un roman de Leslie Kaplan, Le Psychanalyste, publié en 1999. L’auteure, originaire de Brooklyn, grandit à Paris au sein d’une famille aisée (son père est ambassadeur) et étudie la Philosophie, l’Histoire et la Psychologie à la Sorbonne. Ses textes, régulièrement adaptés au théâtre et au cinéma (Claude Régy, Frédérique Lolliée, Marcial Di Fonzo Bo), s’intéressent aux fonctions du langage et à ses enjeux dans la construction du réel. Puisque la parole constitue déjà une manière d’agir (théorie des actes de langage de John Austin), Leslie Kaplan nous livre dans Le Psychanalyste les réflexions d’une multitude de personnages face à un dénominateur commun – leur psychanalyste – et montre ainsi comment nos pensées influent directement sur notre identité.

Le spectacle s’intéresse plus particulièrement au personnage de Louise, la comédienne. Le texte est adapté par Florence de Talhouët, qui signe sa première mise en scène, et interprété par Marina Ocádiz (récompensée en 2016 par le Prix de la Meilleure Actrice au Festival Arte Non-Stop de Buenos Aires). Toutes deux sont membres du Collectif Dans La Peau, qui réunit depuis 2015 une dizaine d’artistes comédiens, réalisateurs, metteurs en scène et dramaturges. De leur rencontre avec l’écriture de Leslie Kaplan était né en 2018 un premier travail, Déplace le Ciel (court-métrage), dont Louise marque la continuité.

La mise en scène nous plonge dans l’intimité de Louise. Le décor, oscillant entre une chambre d’adolescente et une loge de théâtre, mis en relief par des douches de lumière, confère à l’espace scénique une dimension personnelle et familière. La musique, douce, ainsi que le jeu subtil et précis de la comédienne, soulignent la fragilité du personnage et nous permettent de mieux en suivre les pensées. Le découpage en tableaux rappelle le côté vif et morcelé de l’écriture de Leslie Kaplan, dont les chapitres courts donnent une sensation de suspense, et dénote une volonté de la metteuse en scène de demeurer fidèle à l’auteure.

Le texte s’intéresse donc, pour reprendre les mots de Leslie Kaplan, au « réel de la pensée, du langage ». Parce que nous nous pensons à travers les mots que nous employons, nous sommes ce que nous disons. Aussi la question de l’identité semble-t-elle inhérente au roman : comment se penser soi-même ? À l’heure de la novlangue et de la dépossession du langage par les élites, beaucoup de citoyens semblent « en quête de sens » et a fortiori, en quête d’eux-mêmes. Le problème devient alors politique car si nous ne pouvons plus nous penser en tant qu’individus, comment pouvons-nous nous penser en société ? Si notre langage ne nous permet plus de nous ancrer dans le réel, alors nous ne pouvons plus penser le réel. Et si nous ne pouvons plus penser le réel, nous ne savons plus qui nous sommes. Nous n’avons plus d’identité, ni personnelle ni collective.

Si cette réflexion sur le sens semble avoir été au cœur de la démarche de Florence de Talhouët (elle écrit dans sa note d’intention vouloir « mettre en scène ce personnage qui se pose des questions sur le féminin, sur les représentations qu’elle se fait des femmes et d’elle-même »), l’aspect éminemment politique qui s’en dégage est finalement peu présent dans son adaptation scénique. Cette analyse politique, c’est dans le passage du soi (l’intime) au monde (l’universel) qu’elle se situe. C’est ainsi, par exemple, que se construisent les conférences gesticulées : s’autoriser à parler de soi, se donner la légitimité de raconter son histoire (l’intime) tout en inscrivant cette histoire dans la grande Histoire, sociale, politique (l’universel). Entrepris par Leslie Kaplan dans Le Psychanalyste, qui démarre par une conférence sur Kafka et inclue tout au long du roman des temps de réflexion sur la psychanalyse, sur le monde ou le théâtre, ce travail d’analyse manque au spectacle et lui ôte une part de la force et de la portée qu’il pourrait avoir.

Mais peut-être n’était-ce pas là la volonté de la metteuse en scène ? Peut-être la concentration du récit sur l’introspection du personnage constituait-elle une volonté consciente, un parti pris de mise en scène ? Mais alors, pourquoi cette prise de position ? Pour quoi nous raconter cette histoire ? Ce premier travail, bien que prometteur, mériterait d’être davantage abouti pour trouver, comme le langage, son rapport au réel.

À découvrir pour une deuxième et dernière représentation aujourd’hui, vendredi 25 janvier 2019 à 20H00, au Point du Jour.

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