LYRIQUE SQUARE

PENSER LA CHANSON FRANÇAISE D'AUJOURD'HUI

Lyrique Square, groupe de variété française interviewé par le Bazar Culturel.

Lyrique Square, c’est un groupe composé de cinq membres : Tania Wyss (chanteuse et auteure du groupe), Pascal Segard (guitariste, arrangeur et compositeur), Marie Gebhard (bassiste, violoncelliste, choriste et compositrice), Brune Chirac (pianiste et choriste) et Louison Collet (batteur et percussionniste). Rencontre avec Marie, Tania et Louison à l’occasion d’un concert au Nouvô Cosmos et de la préparation d’un troisième EP.

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Présentez-vous, Lyrique Square. Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? Pourquoi ce groupe ?
Tania : Nous sommes un groupe de chansons en français, avec tous plus ou moins une formation classique, en école de musique ou au conservatoire. Cette formation classique, plus le fait que les textes soient très poétiques, c’est ce qui représente le côté lyrique pour moi. Et square, c’est pour le côté où on ne se prend pas la tête.
Marie : C’est par rapport aux jardins d’enfants.
T. : Voilà, c’est ça, on ne se prend pas la tête, on est des gosses, on veut juste faire de la musique ensemble et s’éclater. C’est pour ça aussi que nous changeons de style sur toutes nos chansons : parce que nous voulons découvrir plein de choses.
M. : On explore, on s’amuse.
T. : Et surtout on ne veut pas donner de leçon de morale. Les textes délivrent un message, un point de vue sur le monde, mais sans faire la morale. On veut exprimer une pensée sans l’imposer.
M. : On exprime nos pensées du moment, comme pour dire ce que nous avons sur le cœur à un moment donné.

C’est toi, Tania, qui es à l’origine de Lyrique Square ?
T. : Oui, avec Pascal.

Comment tu l’as rencontré ?
T. : Cette histoire, je la raconte à chaque fois ! Je l’ai rencontré à Saint-Germain-des-Prés, il jouait avec son groupe – les Buci Bees – et je me suis dit tiens, voilà un groupe qui sonne un peu. Ce n’est pas méchant, mais dans la rue c’est rarement le cas. J’avais très envie de chanter une chanson avec eux alors quand ils ont fait une pause, je leur ai demandé. Nous en avons chanté trois ensemble et ça s’est très bien passé.

Dans la rue, comme ça ?
T. : Oui, comme ça. Et Pascal m’a avoué que c’était après m’avoir entendu chanter L’hymne à l’amour qu’il s’est dit qu’il y avait quelque chose. Nous avons discuté, je lui ai dit que j’écrivais des chansons et il m’a demandé de lui envoyer mes textes par e-mail. Très vite, nous nous sommes vus et ça s’est enchaîné en l’espace de trois semaines. Nous avons commencé à composer et à imaginer une troisième voix. On s’est dit qu’il nous fallait une bassiste-choriste.

C’était il y a combien de temps ?
T. : En novembre 2016.
M. : Tu avais mis l’annonce pour me trouver fin septembre.
T. : Je considère que le groupe s’est vraiment formé le 4 novembre. C’était notre première représentation, lors d’un passage à la télévision.
M. : On a commencé par une télévision !
T. : À la base, il n’y avait même pas de groupe. On composait et moi, j’avais eu cette opportunité de passer à la télévision, sur TV Tours. Alors il a fallu trouver quelqu’un pour jouer, j’ai rencontré Marie et je lui ai dit : « Il faut que tu sois disponible le 4, on passe à la télé ».

À ce moment-là, vous étiez trois ?
T. : Oui, et j’avais trouvé le nom du groupe deux jours avant. On ne savait même pas qu’on allait faire un groupe.
M. : Les vidéos de la télévision sont encore sur YouTube
T. : Ça vaut le détour !

Qu’est-ce que vous avez chanté ?
M. : Les trois chansons du premier EP : Ne lui dis pas, Partie perdue et Le Bal des actrices.

Elles étaient déjà écrites ?
T. : Oui.
M. : Quand j’ai été démarchée, Ne lui dis pas était complètement finalisée et vous m’avez donné la partition du Bal des actrices.
T. : J’avais déjà des textes à moi sous le coude. J’avais aussi cherché des mélodies, mais je n’y arrivais pas toute seule. Et je n’avais jamais trouvé quelqu’un avec qui ça colle, qui comprenne mes textes. Avec Pascal, ce qui était génial, c’est qu’il leur donnait une profondeur. Moi, ils me paraissaient très mal écrits, trop naïfs… J’étais très critique vis-à-vis de mon travail. J’ai un style onirique alors quand j’ajoute ma propre musique, qui est sur le même registre, ce n’est pas intéressant. Avec la musique de quelqu’un d’autre, le texte prend une autre dimension, plus réaliste, plus ancrée.

Donc toi, tu écris et Pascal compose ?
M. : Au début, c’était ça. Maintenant, Marie compose aussi, Brune également et pour Louison, ça va venir. Je veux vraiment que chacun trouve sa place dans le groupe.

Toi, Louison, tu viens d’intégrer le groupe en tant que batteur, c’est ça ? Comment es-tu arrivé là ?
Louison : Je connaissais Marie, nous jouons ensemble au FIEALD. Marie me l’avait déjà proposé, une fois…
M. : En fait, je suis allé voir Louison pour lui demander s’il connaissait des filles batteuses.

Vous vouliez être un groupe de filles ?
M. : Nous nous sommes posées la question, à un moment. Nous aurions bien voulu auditionner des filles, il y en a sur Paris qui jouent de la batterie. Après deux sessions, nous avons trouvé quelqu’un mais ça ne fonctionnait pas. Alors, j’ai demandé à Louison si ça le branchait.
T. : Et d’ailleurs, nous nous sommes aperçues que nous ne voulions pas forcément une fille. Fille ou garçon, peu importe, finalement. La force du groupe, c’est justement que ce n’est pas un groupe de filles. Nous sommes trois filles pour deux garçons. Ce que l’on veut défendre, c’est un groupe mixte.

La mixité, est-ce qu’elle participe du côté enfantin que vous revendiquez ?
T. : Complètement ! Le fait qu’il y ait Pascal aussi, qui a soixante ans. Tout ça donne au groupe un côté très atypique. Il n’y a pas de règle, pas de prise de tête.

Pascal a soixante ans, et vous ?
M. : On ne sait pas exactement s’il en a soixante ! Pascal, c’est le mec-mystère. On en apprend tous les jours sur lui. Je me souviens de la bombe que ça a été quand on a su qu’il avait un fils de notre âge ! C’est un personnage ! On l’adore.
T. : Moi, j’en ai vingt-cinq.
L. : Moi vingt-trois.
M. : Vingt-trois aussi pour moi, bientôt vingt-quatre.
T. : Et Brune en a vingt-six.

Louison, tu es le dernier arrivé. Comment tu t’inclues dans cet univers ? Tania propose un texte, Marie et Pascal composent. Et toi ?
T. : Pour chaque morceau, c’est différent. Parfois, j’écris un texte, je l’envoie à Pascal et nous travaillons tous les deux. La dernière fois, Brune a voulu composer et nous nous y sommes mis à trois. Nous sommes arrivés en répétition et Louison a dit « J’ai ça comme idée à la batterie ». Nous n’avons pas de mode de fonctionnement, en fait.
L. : Parfois, je demande conseil à Pascal aussi.
T. : Nous nous écoutons beaucoup et nous voulons vraiment travailler en collectif. La première fois que nous avons eu une discussion, Marie et moi, je lui ai dit que je ne voulais pas avoir l’air d’une chanteuse avec ses musiciens. Je voulais un groupe.
M. : Ça a mis du temps à se mettre en place car tous les textes viennent de Tania. Moi, je n’avais pas forcément le niveau ni l’aisance pour prendre ma place. Ça fait six mois que ça commence à vraiment être le cas.
T. : Je voulais tellement ce groupe que j’en ai trop fait. Mais c’était important que je sois leader au départ, il fallait que je montre la direction à suivre.
M. : Ce dont on s’est rendu compte il y a peu de temps, c’est que nous pouvions presque tout nous dire aujourd’hui. C’est agréable. On s’estime, il y a beaucoup de respect.
T. : Oui, j’ai aussi ce sentiment-là. Il n’y a plus de tabou, c’est très agréable.

Venons-en à vos influences musicales et esthétiques. Quelles sont-elles ?
T. : Musicales, c’est compliqué car nous avons beaucoup changé de style. Nous sommes en train de nous trouver… Mais je dirais les Brigitte, Lynda Lemay, Gainsbourg, Brel.
M. : Pascal, lui, est très tourné vers les sixties, le swing. C’est sa spécialité. Son groupe préféré, ce sont les Beatles. Notre premier EP, Sans tambours ni violons, lui ressemble vraiment.
T. : Le deuxième, Lutte poétique, marque plus une transition. Tout le monde s’y est davantage impliqué. Le troisième sera encore un peu plus clair.

Vous vous présentez comme « des gosses entêtés du jardin d’enfants qui crachent la vérité entourée de ruban ». C’est quoi la « vérité » que crache Lyrique Square ? Il faut l’entourer de ruban, cette vérité ? L’enjoliver ?
T. : Ce sont les textes qui sont entourés de ruban. C’est un peu mon défaut, même si j’essaye de le corriger. Je vais rarement vers la simplicité. J’utilise beaucoup de rimes, de métaphores. Il y a trois voix. C’est beau.
M. : Le ruban, je l’associerais aux voix car nous chantons souvent à trois.
T. : Pour ce qui est de cracher la vérité, c’est en référence à des choses que je vois dans ma vie et que je vais cracher sur le papier. C’est très intime et en même temps, ça peut parler à tout le monde. C’est sans jugement. Bien sûr, un texte comme La Fille est belle est orienté, mais je ne cherche pas à imposer un point de vue.

Les textes te viennent d’une traite, naturellement ?
T. : Ça dépend lesquels. Pour certains, c’est très intime et ça sort comme ça. Pour d’autres, comme Élixir par exemple, c’est plus un exercice de style. Je me suis assise dans un café, j’ai pensé aux Bacchantes et c’est parti de là.

Qu’est-ce qui vous révolte en ce moment ?
T. : Plein de choses. Le féminisme, c’est un peu la base.
M. : Mais maintenant c’est un terme que beaucoup ont dénaturé. Il y a beaucoup d’abrutis qui voient ça comme une volonté des femmes de prendre le pouvoir. Nous, c’est vraiment l’égalité que nous recherchons. Nous chantons des chansons sur les femmes parce que nous sommes des femmes, alors nous parlons de ce que nous connaissons. Et puis, l’égalité fonctionne très bien dans notre groupe. C’est un peu comme ça que nous voyons le monde. Je suis très attachée à la notion de mixité, dans n’importe quelle situation, dans n’importe quel pays. On ne s’en sortira jamais sans la mixité.

Lyrique Square, est-ce que c’est un microcosme de la société que vous aimeriez construire ? Mixte, plus égalitaire ?
T. : Peut-être. Pour moi, en tout cas, c’est le groupe idéal. Nous avons trouvé un fonctionnement qui est idéal. On se sent bien, on ne se juge pas et on travaille ensemble autour de notre passion commune : la musique.

Vous apprenez les uns des autres ?
T. : Oui, énormément.
M. : Et dans tous les sens du terme ! Pascal, musicalement, c’est un pilier. Et puis, nous apprenons dans nos relations humaines aussi. Mais à part la mixité, il y a d’autres choses qui sont défendables. Tu brises, par exemple, c’est un coup de gueule pour nous qui voulons faire de la musique sans suivre le schéma classique.


« Nous sommes dans une société où tout le monde prend des chemins de traverse mais où on ne les acclame que s’ils réussissent. »

C’est quoi, le schéma classique ?
M. : Quand on te dit que tu ne peux pas faire comme ça, que tu dois contacter telle ou telle personne sinon ça ne marchera pas, que tu dois agir de telle manière. Ces gens qui te brident, nous, ça nous fait chier.
T. : Quand on te dit que tu ne peux pas être chanteuse et comédienne en même temps, par exemple. Dès l’enfance, tu dois respecter un cadre, choisir une orientation à l’école. Même dans le monde de l’art, on ressent cette asphyxie.
M. : Sur nos dernières chansons, c’est ce qui se profile : un besoin de liberté, de dire qu’on peut avoir un parcours différent, que ce n’est pas grave de ne pas être dans les clous. Nous sommes dans une société où tout le monde prend des chemins de traverse mais où on ne les acclame que s’ils réussissent.
T. : Quand tu ne rentres pas dans un moule, ça dérange les gens. Ils se sentent agressés. Je le vois dans ma famille. Quand je leur dis tout ce que je fais, ça ne passe pas, ça ne rentre pas. C’est trop éclaté, il n’y a pas de logique, ils ne comprennent pas.

À quoi est-ce dû selon vous ? Au fait qu’on ne puisse plus penser une personne en dehors de son cadre professionnel ?
M. : C’est possible, oui.
T. : C’est super grave. D’ailleurs, si j’ai un message à faire passer à tous les gens qui font de l’art, c’est que ce n’est pas un projet de vie. C’est un projet. Et nous pouvons en avoir plusieurs, des projets. Certains avortent tandis que d’autres réussissent. Ce n’est pas le projet d’une vie entière, c’est juste une partie de ce que l’on peut construire. Il n’y a pas de drame à ce que ça n’aboutisse pas. Ce n’est pas toi en entier qui est en échec si tu ne réussis pas à devenir comédien.

Être intermittent et pouvoir se revendiquer professionnel du spectacle ou être un artiste qui trouve ses moyens de subsistance ailleurs, il est là le dilemme aujourd’hui ?
M. : Oui, il y en a qui sont intermittents depuis des années en faisant des goûters d’anniversaire et ça les fait chier. Mais ils continuent parce que ça leur permet de conserver leur intermittence. Nous, ce n’est pas forcément notre objectif de viser cette case-là.
T. : Je pense que j’ai assez confiance en moi pour ne pas avoir besoin de cocher une case afin de me considérer artiste.
M. : Mais bon, l’intermittence reste une aide. C’est dur de l’obtenir.
T. : Et dur de se considérer sans l’avoir.
M. : Certaines personnes ne peuvent pas faire autrement. Ça les accomplit, d’une certaine façon.

Vous êtes trois comédiennes dans le groupe : ce n’est pas anodin. Vous êtes comédiennes, musiciennes, chanteuses. Est-ce que Lyrique Square, c’est aussi un moyen d’affirmer ce que vous n’arriviez pas à dire au théâtre ? Est-ce que c’est une revanche sur un monde théâtral devenu trop élitiste ?
T. : Pour moi, pas du tout. Ce n’est pas la même forme d’expression. Je voulais faire du chant, au départ, et c’est parce que j’ai été dégoûtée de l’industrie musicale que je suis allée vers le théâtre. Le théâtre a été ma porte de sortie.
M. : Ce sont des émotions différentes. Quand je suis sur scène en tant que comédienne, c’est le personnage qui s’exprime. Moi, je l’aide. Je m’identifie tellement que j’éprouve de l’empathie pour lui. Ça me touche vraiment. J’adore comprendre les gens, même les pires. Ce sont des choses que je n’ai pas forcément vécues, mais je me mets à leur place et ça m’enrichit. Quand je chante, c’est l’inverse. C’est tout ce que j’ai en moi qui ressors, ce sont toutes mes frustrations. Tu brises, elle est hyper jouissive parce qu’on gueule ! On se libère !
T. : C’est un hasard que nous soyons trois comédiennes. Nous venons de la même fac, aussi.
M. : C’est Paris : le monde artistique est petit !

Dans Le Bal des actrices, vous dites que pour réussir, le talent est loin de suffire. C’est ce que vous pensez ?
T. : Oui ! Le talent, c’est 5% de la réussite. Dans le Bal, je parle surtout du milieu du cinéma. Il faut de la chance et des contacts.

Que pensez-vous de l’affaire Weinstein ?
M. : C’est bien que ce soit public. Quand j’y repense, je suis toujours surprise du temps que ça a pris pour éclater au grand jour. Mais bon, mieux vaut tard que jamais !
T. : Ça a libéré pas mal de choses. Depuis le mouvement #metoo, quelque chose s’est passé.


« Avant, si j’avais vu une femme avoir un problème dans la rue, je ne sais pas si j’y serais allée. Aujourd’hui, je sais que j’irais sans hésitation. »

Il y a eu un avant et un après ?
T. : Oui, personnellement déjà. Pour ma propre parole, pour ma propre expérience. J’ai été confrontée à une histoire d’abus dans le cinéma et c’est seulement après #metoo que j’ai réussi à en parler. À quelques personnes seulement, mais je n’en aurais jamais parlé sinon. J’ai senti ça chez de nombreuses femmes, que quelque chose se libérait. Le soutien entre femmes est beaucoup plus présent aujourd’hui. Avant, si j’avais vu une femme avoir un problème dans la rue, je ne sais pas si j’y serais allée. Aujourd’hui, je sais que j’irais sans hésitation.
M. : Nous ne sommes pas toutes aussi fortes face à ce genre de situations. Peut-être que certaines femmes n’arrivaient pas à se dire que ce qu’elles vivaient n’était pas normal. Cette affaire leur a permis de s’en rendre compte.
T. : Il y a la honte aussi, la honte d’avoir été manipulée.
M. : Sur le moment, tu ne le vois pas. Tu ne peux pas appuyer sur « pause » pour réfléchir. Parfois, on n’est pas aussi vif qu’on l’espérerait.
T. : Et quand tu t’en rends compte, c’est trop tard alors tu n’en parles pas. Tu ne portes pas plainte et c’est encore pire. Avec #metoo, la honte a un peu disparu même si elle est toujours un peu présente. Moins il y aura de honte, mieux ça ira.

Est-ce qu’à cinq on est plus fort face aux abus d’agents ou de labels ?
T. : Nous n’y avons pas encore été confrontés mais je pense clairement que quand on aura quelque chose à dire, on le dira. Nous sommes plusieurs à avoir un sale caractère !
M. : En revanche, c’est vrai que nous allons toujours à deux aux rendez-vous, Tania et moi souvent. Nous n’avons pas envie d’y aller seule, pas par peur mais parce que nous savons qu’à deux la parole sera plus facile. Et si nous sommes face à quelqu’un qui nous parle avec moins de respect parce que nous sommes des femmes, ou parce que nous sommes jeunes, nous ne serons pas en position de faiblesse.

Est-ce que ce n’est pas propre à tous les jeunes artistes de ne pas être pris au sérieux ? Souvent, les gens se permettent de tenir des propos qu’ils ne tiendraient pas face à des artistes plus chevronnés.
T. : C’est un gros problème. Regarde le milieu du cinéma : un réalisateur de vingt-cinq ans, ça semble absurde.
M. : Je crois qu’il faut nuancer. À partir du moment où tu as de l’expérience et une identité claire, je ne vois pas vraiment ce qu’on peut te dire. Mais si quelqu’un t’aide à cheminer dans ta recherche, ses conseils sont les bienvenus. Je ne vois pas le problème. Après, bien sûr qu’il y a des abus.
T. : J’ai plus l’impression de ne pas être prise au sérieux parce que je suis une femme que parce que je suis jeune.

Vous dites que vous aimez mettre le texte au premier plan parce que vous aimez la langue française. La langue française, elle est plutôt poétique ou musicale ?
T. : Elle n’est pas musicale pour un sou ! L’anglais est beaucoup plus facile, l’italien aussi. Mais le français, c’est ma langue, je la connais bien. Je ne me verrais pas écrire dans une autre langue. Ce que j’aime beaucoup, ce sont les degrés de compréhension, la pluralité des sens, les sonorités. J’adore me servir du texte comme matériau musical pour faire résonner des consonnes, par exemple.

Est-ce la musique qui sert le texte ou le texte qui sert la musique ?
T. : Les deux se servent mutuellement.
M. : Je dirais que la musique sert le texte dans le sens où le texte est toujours écrit en premier. La musique intervient plus comme un habillage.

Vous parliez tout à l’heure de changer de style. Est-ce que dans l’écriture aussi, tu t’amuses à changer , à essayer de nouvelles formes ?
T. : Non, c’est plus dans la musique. Bien sûr, je remanie mes textes en fonction de la composition. J’essaye de progresser et de simplifier mon écriture mais ce n’est vraiment pas facile pour moi. J’y travaille !
M. : Il est déjà arrivé qu’en lisant un texte, on ait du mal à voir où Tania voulait en venir. Je pense que dans la chanson, il faut que les gens comprennent le sens.
T. : La difficulté, c’est de ne pas perdre l’intimité tout en étant plus directe. Quand j’écris, il y a toujours un début, un milieu, une fin. Je raconte des histoires.

Les histoires, les contes : ce rapport à l’enfance que vous défendez, c’est un syndrome de Peter Pan ? Est-ce que le monde des adultes vous fait peur ?
M. : C’est un mythe, tout ça. Dans le milieu artistique, tu rencontres énormément de personnes qui ont cinquante ou soixante ans et qui se comportent comme des enfants. C’est juste une histoire de différences. Le syndrome de Peter Pan, je l’entends dans le sens pathologique du terme. Sinon, c’est juste pour mettre des étiquettes sur les gens et les ranger encore une fois dans une catégorie. J’aimerais bien, moi, être comme ces gens-là à cinquante ou soixante ans !
T. : Je me considère vraiment comme une femme et non comme une enfant, même si je reste très attachée à l’enfance.
M. : Personne ne devrait se sentir réduit sous prétexte qu’il a un comportement d’enfant : si vous avez des envies, faites ! Tant que ça n’entrave pas la liberté des autres !
T. : Oui, il y a un côté réducteur dans l’enfance, comme si tu n’avais pas grandi, que tu n’étais pas responsable.

Mais il y a de l’auto-dérision dans votre travail ?
M. : Oui, beaucoup ! Dans Sans connexion, on évoque l’addiction aux réseaux. Mais l’auto-dérision, c’est que Tania et moi sommes sur Instagram et avouons-le, on compte régulièrement nos followers. On est prises dedans aussi.
T. : On en a conscience.

Il vaut mieux avoir conscience de ses contradictions que de ne pas savoir les reconnaître, non ?
T. : Oui, tout à fait !
M. : Quand il y a un problème, la première étape est de s’en rendre compte. Le reste suivra quand il suivra.

C’est qui, aujourd’hui, votre public ? À qui vous adressez-vous ?
M. : Nous n’avons pas encore assez exploré tous les types de publics. Les mamans aiment beaucoup, et pas juste les nôtres ! Les touristes, aussi. Ça leur parle énormément. Peut-être y a-t-il un côté « french touch » ou je ne sais quoi.
T. : Les étrangers aiment beaucoup La Fille est belle.
M. : Oui, nous avons joué peu de fois dans la rue, mais à chaque fois, ils s’arrêtent sur cette chanson. Sur Ne lui dis pas aussi.

C’est votre côté Édith Piaf qui provoque ça ?
T. : Si je devais donner une référence, je dirais plutôt Barbara. Je les cite régulièrement. Si tu lis mes textes, il y a toujours des références. Parfois, ce n’est que trois mots que je prends et avec lesquels je joue. J’adore rendre hommage aux artistes que j’aime. Souvent, ça part comme ça d’ailleurs.

Qui aimeriez-vous cibler à l’avenir ?
M. : Ça me ferait plaisir que des gens de notre âge entendent et considèrent notre travail. Qu’ils se reconnaissent dans ce que l’on fait.
T. : Oui, qu’ils prennent le temps de mieux écouter, de se poser. Même nos amis, quand ils viennent aux concerts, ils sont là surtout pour boire et danser.

Vous voudriez une adhésion plus artistique qu’humaine ?
M. : Ce serait le bonus, oui. On verra.

Où vous voyez-vous dans un an ?
M. : Nous sommes en train de faire des démarches car nous avons appris qu’il existait plein de circuits, de réseaux d’aides, de subventions. Nous voulons sortir de Paris parce qu’ici, c’est bouché. La musique, c’est pire encore que le théâtre. Dans un an, j’aimerais avoir trouvé un réseau, une structure qui adhère à ce qu’on fait. Et un public.
T. : En mai, par exemple, nous serons en tournée dans la région Centre. Nous avons déjà trois dates, bientôt quatre. Partir, être ensemble, c’est vers ça qu’on veut tendre. Comme une troupe de théâtre plus qu’un groupe.
M. : Et puis, je trouve ça plus agréable de rencontrer les gens en tournée quand tu fais de la musique que quand tu fais du théâtre. Au théâtre, il y a toujours un côté biaisé car tu n’es pas toi à 100% alors c’est bizarre de devoir leur parler après. En musique, tu donnes de toi directement. Alors, après un concert, c’est beaucoup plus simple.

Qui vous finance pour l’instant ?
T. : Personne. Nous-mêmes.
M. : On nous a quand même financé notre deuxième EP,Lutte poétique.
T. : Oui, nous cherchions des subventions et nous avons trouvé un mécène qui nous a donné un peu d’argent.
M. : Nous lui sommes vraiment reconnaissants car il n’attendait pas forcément de retombées. Je suis toujours surprise de voir que quelqu’un d’à peine plus âgé que nous puisse avoir la générosité de nous filer un coup de main.

Vous vendez vos disques ?
T. : Nous sommes sur Spotify et Deezer.
M. : Et nous les vendons après les concerts.

Quelle est la prochaine date ?
M. : Le vendredi 25 janvier à 21H00, au Nouvô Cosmos. Nous y jouerons un long moment. Il y aura tout notre répertoire, et aussi des reprises : Brigitte, Édith Piaf, Jean Ferrat, ABBA, Les Rita Mitsouko, Patricia Kaas, Niagara.

Merci Lyrique Square !

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