MILLE ET UNE NUITS

DES COQUELICOTS ET DES HOMMES

Mille et une nuits mis en scène par Gwendoline Destremau

Mille et une Nuits ou l’homme qui aimait les coquelicots raconte l’histoire d’un tyran qui, après avoir condamné à mort sa première épouse pour infidélité, décide de faire exécuter chaque matin la femme qu’il aura épousée la veille. Afin de faire cesser le massacre, Shéhérazade, une jeune conteuse complice du Grand Vizir, se porte volontaire. Le tyran, fasciné par l’histoire qu’elle lui raconte, décide de l’épargner un jour supplémentaire.

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Le spectacle est une adaptation du recueil de contes du même nom. À l’origine, le récit des Mille et une Nuits est constitué de contes enchâssés au sein d’un récit-cadre (l’histoire de Shéhérazade). C’est un ouvrage populaire, issu de la tradition orale et pouvant s’apparenter au genre littéraire des Miroirs des Princes : ces « miroirs » constituaient des traités d’éthique et de morale destinés à montrer aux souverains la voie à suivre pour régner. Il est à noter qu’en France, la première traduction (effectuée par Antoine Galland) date du XVIIIème siècle, au moment où se développe la doctrine politique du despotisme éclairé, portée par les philosophes des Lumières. Cette « nouvelle doctrine » place le monarque au service de l’État : il est conseillé par des savants et ses décisions sont guidées par la raison (notion-clé de la philosophie des Lumières). Il n’est donc pas étonnant que ce soit à cette époque que les contes des Mille et une Nuits nous soient parvenus.

Cette adaptation est conduite par Gwendoline Destremau, qui en signe également la mise en scène. Fondatrice de la compagnie de l’Eau qui Dort, elle aime travailler « l’univers du conte au théâtre » et questionner « la frontière entre la réalité quotidienne et celle de notre imaginaire ». Elle s’entoure pour cette deuxième création de Cyril Benoît (avec qui elle avait déjà travaillé sur Peter Pan), Sarah Bertholon, Matthieu Gautier et Louise Bouchez.

La metteuse en scène réussit un premier tour de force en reportant l’aspect populaire du conte sur le registre de langage : le discours, tantôt lyrique et enlevé, tantôt trivial et burlesque, donne au spectacle un ton décalé qui appelle l’adhésion des spectateurs. Son second tour de force réside dans l’allégorie qui est au cœur-même de l’histoire. Si le conte narre en filigrane la confiscation du pouvoir par un tyran ou l’édification d’une muraille pour retenir les parias, s’il dépeint l’éradication d’une race (ici, la gente féminine) ou le besoin de contrôle d’un individu sur les autres, les accusations ne sont jamais revendiquées. Telles les Fables de La Fontaine avec leurs personnages animaux, les Mille et une Nuits de Gwendoline Destremau nous livrent un monde peuplé de choux-fleurs et de coquelicots. La métaphore, aussi belle soit-elle, permet surtout plusieurs degrés de lecture et laisse à chacun le soin de son interprétation. La portée universelle des contes est restituée. Ce qui semble clair, en revanche, c’est sa volonté de faire de Shéhérazade une héroïne révolutionnaire. Non contente de sauver sa peau et « faire cesser le massacre », elle semble aussi agir dans l’intérêt du peuple : elle s’enquiert de la hauteur de la muraille (que son histoire a permis de faire baisser) et arrête complètement son récit lorsque celle-ci s’écroule et que la population est libérée. Le spectacle prend alors une tournure plus politique que le conte original (où Shéhérazade et son roi demeurent mariés).

Sur scène, les comédiens évoluent dans un décor sobre : un lieu unique, qui évoquerait presque l’antichambre des tragédies classiques, où ne figure que le trône du roi. Les costumes constituent quant à eux le principal axe autour duquel pivote le récit : ils nous transportent d’un personnage à un autre, d’un univers à un autre. Les lumières viennent souligner un travail sur la silhouette et créent parfois de beaux tableaux qui participent de l’onirisme du spectacle.

Quelques ombres au tableau persistent toutefois et l’univers de Gwendoline Destremau mériterait à se préciser davantage. Ses choix ne semblent pas toujours clairs et laissent le spectateur dans un entre-deux : le son, qui cherche à prêter une couleur orientale, contraste avec les références contemporaines occidentales qui parsèment le spectacle (télévision, livreur de pizzas). Quant à la narratrice, qui brise systématiquement le quatrième mur, elle ne semble pourtant pas s’adresser réellement à nous, dans la salle, ce qui donne à sa parole un aspect confus et indistinct. Oscillant entre un récit purement dramatique et une mise à distance assumée, le spectacle peine à trouver sa voie (voix) et ne nous convainc jamais pleinement.

Un travail à poursuivre, donc, mais surtout à soutenir, ne serait-ce que pour le message plein d’espoir qu’il porte : si les mots de Shéhérazade ont eu le pouvoir de faire tomber un royaume, les nôtres sont-ils tout aussi puissants ? À l’heure où les « maux » de notre population ne trouvent qu’une oreille méprisante, les murs ne sont pas prêts de s’effondrer. La lassitude de la population suffira-t-elle, comme dans le spectacle, à inverser le rapport de force ? Ou l’éveil des consciences se poursuivra-t-il pas à pas, au grand dam des opprimés ?

Mille et une Nuits : un rendez-vous à ne pas manquer au Guichet-Montparnasse, jusqu’au 28 mars 2019.

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