CARNET DE BORD

CHAPITRE 3 - LE RENOUVEAU

carnet de bord chapitre 3

Embauché comme professeur sur un remplacement, le narrateur s’apprête à reprendre un travail salarié. Existe-t-il encore un espoir pour le camion ou n’est-il pas préférable, tout simplement, de tourner la page ?

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Il est vendredi après-midi et je n’ai toujours pas reçu les cours à préparer. Je me demande s’il est normal de devoir effectuer cette préparation sur mon temps personnel ? Personne ne l’exige, puisque le programme est déjà « prêt à l’emploi » : autrement dit, ils ne me paieront pas pour une tâche qu’ils ne jugent pas nécessaire. D’un autre côté, travailler avec les notes de quelqu’un d’autre est un exercice difficile (devrais-je dire impossible ?). Si je ne me les approprie pas, comment pourrais-je les transmettre ?

Je n’ai posé qu’une condition à ma prise de poste : celle d’effectuer mes préparations de cours depuis chez moi, ce qui me permettrait de ne pas laisser mon chien seul – enfermé – neuf heures par jour, cinq jours sur sept. En reprenant ce poste au pied levé, j’ai bien conscience que je leur rends service : il faut bien qu’il y ait quelque compensation.

Il est près de dix-sept heures quand les supports me parviennent enfin, accompagnés de mon planning de la semaine, de la liste des élèves et d’un mail laconique qui ne me donne pas d’autorisation explicite pour le travail à domicile. Je jette un coup d’œil aux horaires : j’ai des cours en début de matinée puis en fin d’après-midi quasiment tous les jours, ce qui rend impossible le télétravail. Est-ce qu’ils se moquent de moi ? Je m’empresse de solliciter une explication avant que leurs services ne ferment, la réponse me revient immédiatement : « Le directeur n’a pas encore statué sur votre demande, je vous invite à le contacter à partir de lundi ». Je dois donc commencer à travailler sans être sûr que l’aménagement demandé ne me soit accordé : original.

Voyons les cours, maintenant. Chaque classe est identifiée par un code composé de chiffres et de lettres : premières années de CAP, deuxièmes années de CAP, brevets professionnels… Il y a un hic : les codes indiqués sur les supports de cours ne correspondent pas à ceux figurant sur les listes d’élèves. En clair, impossible de faire correspondre le bon cours avec la bonne classe. Et maintenant que les bureaux sont fermés, je peux toujours courir pour avoir une réponse. Bon… Il faudra que j’improvise !

*****

Lundi matin. J’ai la boule au ventre des jours de rentrée : est-ce habituel chez les enseignants aussi ? Je n’ai plus aucune envie d’y aller, mon intuition me dit de prendre mes jambes à mon cou et elle se trompe rarement. « Tant que tu n’as pas la réponse du directeur, tu ne signes rien. Et s’il refuse ta demande, tu te casses. » Voilà ce que je me répète en boucle sur le chemin.

J’arrive à neuf heures moins dix, le cours démarre à neuf heures (à cette heure la circulation est dense et trouver une place de stationnement relève du miracle !). On me donne un jeu de clés et on me désigne ma salle : voilà comment on devient professeur. J’ai tout juste le temps de prendre connaissance du cours que les élèves arrivent déjà. Le pouvoir des images, d’accord. Je dois leur faire analyser un tableau puis répondre à des questions, voilà qui devrait aller.

Je fais l’appel et en profite pour les interroger sur leurs loisirs et futures professions : ce sont presque tous des passionnés de foot et de moto. Je me présente à mon tour, nous échangeons des généralités sur nos activités sportives respectives puis le cours démarre. Personne n’a les supports : leur professeur habituel distribue des polycopiés au fur et à mesure et je n’ai fait aucune impression avant de venir. Tant pis, je projetterai les documents au tableau.

Le premier groupe s’en va, le deuxième arrive, un nouveau cours s’engage. Nous voilà partis pour deux heures de travail autour d’une vidéo… que personne ne m’a fournie. Elle est sur internet, mais encore faut-il une connexion ! Qu’à cela ne tienne, j’utilise mon téléphone en partage de données. Mais où sont les enceintes ? Je suis sidéré quand un élève m’explique que chaque professeur vient normalement avec son matériel. Pas d’enceintes, donc. Je leur demande de se rapprocher et nous regardons la vidéo sur mon petit écran d’ordinateur.

Les minutes passent et les élèves décrochent les uns après les autres. Il faut dire que le programme qu’on leur fait avaler est abêtissant : le niveau est élémentaire et ces gamins ne sont pas stupides.

– Je sens que vous êtes ailleurs donc je vous propose de laisser là Charlie et la chocolaterie. Il nous reste une heure ensemble, de quoi voulez-vous parler ?

Les têtes se relèvent, ils semblent surpris.

– On peut parler d’argent, monsieur ?
– D’accord, on va parler d’argent. Je t’écoute.
– Ben moi je travaille trente-neuf heures par semaine pour neuf-cents balles. Ça me fout le seum quand je vois que d’autres foutent rien et s’en sortent mieux que moi. La dernière fois j’ai fait un chantier chez une cliente. Elle avait mille-quatre-cents euros de chômage ! Mille quatre-cents balles pour rester chez elle ! C’est abusé.

Je leur demande s’ils connaissent le fonctionnement de l’allocation chômage, ils me répondent que non. Nous parlons des cotisations sociales, de la différence entre le brut et le net (personne ne leur a jamais expliqué, me disent-ils !), de l’importance de s’organiser et de coopérer pour faire valoir leurs droits, du capitalisme et de la lutte des classes… Pour la première fois depuis le début du cours, ils sont suspendus à mes lèvres. Plus personne ne voit le temps passer.

Pour chaque groupe, je boucle le programme en une heure et le reste du temps, nous parlons de sujets plus stimulants intellectuellement parlant.

– Monsieur, on a plus appris avec vous en une heure qu’avec notre prof habituel en six mois !

Mais ces jeunes ne savent pas travailler ensemble. Une société de consommation nombriliste et deux ans de crise sanitaire ont eu raison de leur capacité à coopérer. A plusieurs reprises, je leur demande de constituer des groupes de deux ou trois pour répondre aux questions du cours. Personne ne le fait réellement et je décèle dans leur regard comme une gêne à appliquer la consigne ou pire encore, comme de la pudeur. Leurs rapports sont fondés sur le divertissement et parler ensemble de sujets « sérieux » va à l’encontre des règles inconsciemment établies.

A midi, il est clair pour moi que je ne resterai pas mais je dois encore faire part de ma décision.

Un commentaire sur la façon dont cette annonce a été faite : elle m’a permis de prendre conscience de l’étendue de ma lâcheté. J’avais en effet décidé d’attendre la réponse du directeur quant à ma demande d’aménagement d’horaires car, persuadé qu’il la refuserait, cela me donnerait un motif de départ sans appel.

A quinze heures, le directeur me reçoit dans son bureau et me fait savoir qu’à titre exceptionnel et à condition que je n’en parle pas à mes collègues (pourquoi ce favoritisme ?), il m’accorde la possibilité de télétravailler en dehors de mes horaires de cours. Mon plan tombe à l’eau et je sens la boule à l’intérieur de mon ventre se resserrer davantage. Il faut que je sorte de là.

Je passe l’heure suivante en salle des professeurs à essayer de faire la discussion avec mes nouveaux collègues, qui ne me cachent pas leur propre agacement vis-à-vis de l’organisation défectueuse. Mais je n’arrive pas à aligner plus de deux phrases ni à me montrer réellement sociable. Il faut que je sorte de là.

Pourquoi est-ce que cela me met dans tous mes états ? Après tout, je n’ai rien fait de mal : je n’ai juste pas supporté les anomalies administratives. Je dois simplement leur dire cela, rien de plus. Après avoir imprimé les supports pour le dernier cours de la journée – le quatrième sur Charlie et la chocolaterie ! Comment les enseignants acceptent-ils de jouer ainsi le perroquet ? – je range mes affaires et me dirige vers le bureau de l’assistante de direction.

– Je suis désolé mais je ne vais pas pouvoir rester. Les dysfonctionnements sont trop nombreux pour moi et travailler dans ces conditions m’est insupportable.
– De quoi voulez-vous parler exactement ?
– Des cours que j’ai reçus vendredi en fin de journée, mal numérotés et donc impossibles à préparer, du matériel manquant pour faire cours : pas d’enceintes alors que je suis censé passer un film, pas de connexion internet…
– C’est votre premier jour, vous allez trouver vos marques.
– Je ne crois pas. J’ai déjà vécu des expériences similaires et je sais que cela ne s’arrange pas avec le temps.
– Vous ne pouvez pas faire un effort, pour quinze jours ?
-Écoutez, je ne vous remets pas en cause personnellement, je sais que vous faites de votre mieux mais j’ai besoin d’un environnement de travail sécurisant qui me permette d’accomplir correctement mes missions et je ne le retrouve pas ici.

Voilà qui est dit. Notez bien la dernière phrase : « je ne vous remets pas en cause personnellement, je sais que vous faites de votre mieux ». En réalité, je ne sais pas vraiment si elle fait de son mieux, mais lui laisser le bénéfice du doute et ne pas l’attaquer elle m’a aidé à lui exprimer ce que je ressentais.

Sa secrétaire, qui partage un bureau dans le même open-space et qui jusque-là n’avait pas jeté un seul coup d’œil dans ma direction, me regarde pour la première fois. Peut-être ai-je dit tout haut ce que d’autres pensent tout bas.

*****

Me voilà de retour au point de départ et toujours aussi fauché. Je ne pensais pas que mes précédentes expériences professionnelles m’avaient marqué au point de me rendre physiquement inapte aux « failles du système ». Où vais-je bien pouvoir travailler ?

Il reste encore une solution, à laquelle je refusais de me résoudre : réduire mes dépenses alimentaires pour faire coïncider mon niveau de vie avec les allocations versées le chômage. C’est un exercice difficile compte-tenu de l’augmentation du coût de la vie. Mais c’est certainement moins pire que de trouver un « boulot normal » dans une société où plus rien ne l’est. Je me décide également à emprunter de l’argent à mes parents pour combler les trous. Et maintenant que j’ai réglé ce problème dans ma tête, je peux avancer sereinement sur mon projet.

Dans les semaines qui suivent, cependant, je tombe malade : une bonne grippe me cloue au lit pendant une semaine. Je ne peux m’empêcher de remettre en cause mon alimentation, appauvrie en micro-nutriments. Je commence aussi à voir réapparaitre certains troubles du comportement alimentaire que je croyais guéris depuis des années. Cette situation ne peut pas durer : si ma santé est en jeu, à quoi bon ?

Je décide finalement de m’inscrire dans une agence d’intérim et de postuler à des offres à mi-temps : ce compromis me permettra de dégager quelques sous tout en travaillant au développement de mes activités et sans souffrir trop souvent les climats malsains des entreprises. La nouvelle année est également porteuse de bonnes nouvelles puisque je reçois quelques commandes de prestations. Bien que le bout du tunnel semble encore loin, l’espoir revient.

*****

Il est temps de nuancer mes propos en évoquant, cette fois-ci, ce qui fonctionne bien. A Damier, les élus m’ont confié la création d’un spectacle avec un groupe de migrants. A Falaise, la mairie me prête une salle une fois par semaine pour que je mette en scène une nouvelle pièce. Il y a aussi cette association avec laquelle j’organise un festival au printemps. Quand je prends du recul et que j’observe la situation dans son ensemble, je vois qu’il y a tout de même de quoi être confiant.

Parlons plus en détails du « festival ». J’avais rencontré cette association quelques mois auparavant. Ayant appris qu’ils développaient leur propre camion dans le domaine du sport, il me semblait intéressant de faire leur connaissance. Je n’avais alors rien à leur proposer ni à leur demander et notre échange s’était conclu par de plates promesses : si l’un de nous rencontrait un partenaire potentiellement intéressé par l’autre camion, il l’en informerait. J’avais aussi émis l’idée, en riant, que nous pourrions un jour organiser un festival regroupant les différents camions du coin.

Mais voilà qu’un mois et demi plus tard, ils reprirent contact avec moi. Mon idée n’était pas tombée dans les oreilles d’un sourd ! Ils devaient pourtant savoir qu’il me serait impossible de produire un tel évènement. A moins qu’ils n’envisagent de le faire ?

Nous nous revîmes et je compris qu’ils avaient non seulement l’intention de le produire mais que les négociations étaient déjà en cours avec le Conseil Départemental. J’ignore dans quel sens les choses se sont produites : ont-ils apprécié notre rencontre au point de vouloir travailler avec moi, auquel cas l’évènement aurait été une occasion comme une autre ? Ou bien ont-ils voulu reprendre à leur compte l’idée que j’avais formulée et m’ont-ils proposé de m’y associer par honnêteté intellectuelle ?

Il n’en demeure pas moins que leur proposition me fait plaisir et que je deviens leur prestataire sur la production de cet évènement, le camion ne pouvant en effet pas en être producteur (toujours pour des questions de statut : c’est une entreprise). Cela signifie, en outre, que mes partenaires en sont officiellement les seuls organisateurs et que le projet leur appartient entièrement pour cette année et les années à venir (nous envisageons déjà plusieurs éditions).

Mais le contact passe bien entre nous et le travail est serein : c’est à l’heure actuelle tout ce qui compte pour moi.

La production de cet évènement nous pousse à demander aux acteurs socioculturels du territoire de s’associer à nous. Dans le lot, mon ancien employeur, un gros poisson qui « par hasard » se trouve en train de lancer un camion pour proposer de la culture en zone rurale. Je crois que j’ai déjà entendu cela quelque part !

Ne soyons pas médisants : peut-être est-ce réellement le fruit du hasard ou de l’air du temps. Mais peut-être aussi est-ce l’œuvre d’un ancien collègue un peu trop bavard ? Quoi qu’il en soit, le patron a eu vent de mes projets et ne semble pas apprécier d’avoir de la concurrence, aussi petite soit-elle.

Comme je ne suis pas parti en bons termes, la reprise de contact s’annonce difficile. A l’époque, la dégradation de mes conditions de travail, l’augmentation incessante du nombre de tâches à effectuer et la laborieuse communication avec la direction avaient eu raison de moi. Un jour, sans que je puisse comprendre comment, je m’étais retrouvé en pleurs devant mon écran d’ordinateur, tétanisé à la seule idée de poursuivre mon travail. Ce jour-là, ce fut terminé.

Le courriel que je rédige se veut le plus neutre possible mais sachant qui l’envoie à qui et dans quel but, il ne l’est absolument pas. La réponse ne se fait pas attendre : « Bien sûr, je me rappelle de toi et aussi des circonstances de la fin de notre collaboration ». Il y a deux ans cette phrase m’aurait cloué le bec, mais aujourd’hui je n’ai rien à prouver : « J’ai également bien en tête les raisons qui ont motivé mon départ, mais je ne doute pas que nous saurons en faire abstraction dans le cadre d’une collaboration bénéfique à nos deux structures et aux habitants du territoire. »

La suite de l’échange me donne à réfléchir sur ce qu’il pense du camion et je me demande sérieusement si leur projet n’est pas juste un moyen de me couper l’herbe sous le pied.

« Je trouve qu’il est intéressant de multiplier les propositions d’itinérance sur le territoire. En revanche je pense aussi qu’il faut être attentif à ce qu’il n’y ait pas de doublons dans les différentes propositions. Je te propose donc que nous abordions ce sujet ensemble préalablement à toute collaboration. »

Serait-il en train de me demander de m’écarter de son chemin ? Je décline la proposition : s’il veut me rencontrer, ce sera uniquement pour parler du festival. L’échange n’aboutit à aucun rendez-vous et demeure sans réponse.

*****

Une nuit, je rêve que le démon se présente à moi et me propose richesse et succès immédiats…en échange de mon âme ! Je refuse et me réveille aussitôt, terrifié par cette funeste rencontre. Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Né dans une famille catholique, je me suis pourtant vite éloigné des traditions religieuses : les anges et les démons ne sont donc pas mon lot quotidien.

Le lendemain, je cherche la symbolique avec une amie : et si j’avais peur de l’argent ? Peut-être ai-je peur d’être corrompu par la richesse et le succès ? Si l’argent représente une énergie et que je refuse les sources de revenus que je ne juge pas « pures » (les subventions), j’empêche cette énergie de circuler dans sa globalité. L’univers ne fait pas de distinction entre l’argent qui provient d’une prestation ou celui qui provient d’une subvention : si je décide d’en bloquer une partie, j’en bloque en fait la totalité.

Ceux qui m’ont demandé de transformer le camion en association ne sont pas tous de dangereux sociopathes : la grande majorité cherche seulement à me comprendre en me faisant entrer dans une des cases qu’elle connaît. Leur mentalité pourrait évoluer avec le temps : si j’acquiers leur confiance et que je leur montre que je suis un professionnel compétent avant d’être un original, peut-être accepteront-ils plus facilement de collaborer avec mon entreprise ?

L’humain est ainsi fait : les gens ont peur de ce qu’ils ne connaissent pas. Comment ne m’en suis-je pas souvenu plus tôt ? Si je pouvais seulement créer un « sas » entre eux et moi, je pourrais rétablir le dialogue et ouvrir un débat qui est à l’heure actuelle inexistant. Mais comment faire ?

C’est lors d’un rendez-vous d’affaires que je trouve la réponse. Je rencontre ce matin-là la dirigeante d’une organisation qui anime des ateliers de sensibilisation à la préservation de l’environnement. Elle m’explique que son association a créé une filiale à but lucratif pour travailler avec les entreprises. Je l’arrête tout de suite pour lui demander plus de détails : une association peut, en tant que personne morale, créer une entreprise dont elle est l’unique actionnaire. L’entreprise, en tant que filiale, reverse alors tous ses bénéfices à l’association. Le lendemain, je fais la rencontre d’un patron d’entreprise sportive qui m’explique que ce montage est aussi courant dans le milieu du sport.

Dans mon cas, la structure-mère associative pourrait porter la troupe de théâtre (et uniquement la troupe, j’insiste) et posséder en son sein la filiale qui développe les activités d’accompagnement et d’animation socioculturelle. Il ne m’en faut pas plus pour me décider à sauter le pas – concrètement, au stade où j’en suis, cela n’a aucun impact sur l’aspect juridique : il s’agit simplement d’une manière de présenter les choses. Je ne perds donc rien à faire le test sur quelques rendez-vous.

Les premiers retours sont plutôt positifs : la réception n’en est que meilleure et les échanges plus diplomatiques. A vrai dire, cette façon de faire entraîne aussi en moi un changement de posture : je ne renvoie plus l’image d’un insurgé contre le système, qui crée une entreprise pour ne pas faire comme tout le monde, mais celle d’un jeune homme qui propose une alternative tout en étant conscient des pratiques existantes, des enjeux et du temps nécessaire à la mise en place d’une transformation. Mes interlocuteurs se sentent sûrement moins en danger et surtout, ils n’ont plus l’impression que je leur fais la morale – personne n’aime cela. Le comble, c’est que depuis que j’agis ainsi, on me demande davantage de devis… pour mon entreprise !

Comme tout le monde, il m’arrive d’être un petit con. Et sûrement même un gros, de temps en temps. Le fait que je cherche à comprendre les motivations profondes des uns et des autres ne fait pas de moi quelqu’un de meilleur. C’est même le contraire qui se produit, étant donné la marge d’erreur qui découle de mes analyses. Et puis, il est bien connu que tant l’on cherche la paille dans l’œil de son voisin, on ne se préoccupe pas de la poutre qui est dans le sien.

Et moi, alors ? Quelles sont mes motivations profondes ? Si je faisais tout cela pour l’amour de l’art j’accepterais sans rechigner de prendre un travail alimentaire et de produire bénévolement mes ateliers et mes spectacles, comme je l’ai toujours fait jusqu’ici. Qu’y a-t-il de différent aujourd’hui ? Pourquoi ce soudain retournement de situation ? Pour la gloire ? Non, la gloire ne m’intéresse pas plus que cela. Je cherche la renommée, oui, mais davantage pour le confort matériel et le pouvoir d’agir qu’elle apporte.

La vérité, c’est que je me sens parfois investi d’une mission (par qui ? Dieu ?) et c’est ce sentiment d’un devoir à accomplir qui me pousse en avant et me donne la foi de continuer. Dans le fond, je ne sais pas ce que fais sur Terre, je me sens souvent seul et j’aimerais que mon passage ici-bas ne soit pas vain. Je rêve secrètement de mourir en « laissant un monde meilleur derrière moi ».

J’aimerais plus de reconnaissance de la part de mes pairs et – surtout ? – j’aimerais être aimé, autrement que comme un fils, un ami ou un chef, et je supplée à cette absence de l’autre par un travail acharné et de plus en plus effréné.

Contre ce sentiment il me faudra certainement lutter toute ma vie car la volonté d’être aimé n’a jamais fait un Homme libre.

Dans ma dernière pièce, un personnage s’exclamait : « La plupart des gens ne se battront pas pour la liberté parce que tous ont quelque chose à perdre : un emploi, des amis, une position dans la société. La plupart des gens se rendent complices des tyrans par peur de perdre leurs privilèges. Moi, je n’ai pas peur car je n’ai rien à perdre. » Mes personnages ont toujours eu plus de courage que moi.

A présent soyez assurés, lecteurs, que je ne vaux pas mieux que les autres. A vrai dire, je suis certainement le plus pathétique de tous ceux que je « dénonce ».

Maintenant que c’est dit, au travail.

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