MARJORIE GLAS

COMMENT LE THÉÂTRE A PERDU SA DIMENSION POPULAIRE

L’épisode du jour est à marquer d’une pierre blanche car il résume à lui seul les raisons d’être du Bazar Culturel. Un épisode dans lequel nous allons parler histoire du théâtre, sociologie, militantisme, éducation populaire…

*****

Mon invitée s’appelle Marjorie Glas, elle est Docteure en sciences sociales au sein de l’EHESS et chercheuse associée au laboratoire IRIS. Sa thèse, soutenue en décembre 2016, propose une socio-histoire du théâtre public français à travers l’angle de la fonction sociale et politique qui lui a été attribuée entre 1945 et la période la plus récente. Elle y montre notamment comment le théâtre public s’est progressivement recentré sur lui-même et sur ses enjeux internes, faisant la part belle aux metteurs en scène et aux programmateurs, au détriment du public et notamment du public populaire.

« Je me suis rendue compte que le théâtre était centré sur des enjeux professionnels, dans un certain entre-soi. »

Les trois pépites de cet échange :
1) A l’échelle des artistes, la subversion formelle a pris le pas sur la subversion politique. Il ne s’agit plus de contribuer à l’émancipation des citoyens, mais de proposer des spectacles innovants, qui constituent une sorte d’avant-garde esthétique. Cela donne lieu à des créations dont les thèmes n’intéressent plus les classes populaires et qui, en plus, de par leur forte esthétisation, sont complexes à comprendre et donc peu accessibles. Cette primauté de la forme sur le fond est accentuée par la toute puissance des programmateurs qui se positionnent en « chasseurs de têtes » pour repérer les nouveaux talents, incitant les artistes à rechercher davantage leur approbation que celle des spectateurs.
2) A l’échelle des politiques, les décisions prises depuis plusieurs décennies accentuent la séparation entre création et éducation populaire : pendant que l’État subventionne la liberté de création, il baisse les financements des Maisons des Jeunes et de la Culture. Cette stratégie a fait perdre aux artistes leur casquette d’animateurs, faisant d’eux « des créateurs », des héros très souvent sur leur piédestal, dans une déconnexion encore plus forte vis-à-vis des publics. En outre, la professionnalisation des métiers de la culture, tant du côté de la création que de la médiation, tend à éloigner encore plus l’art des classes populaires puisque l’exercice de ces métiers entre désormais dans une logique de diplômes et de savoir-faire très précis.
3) A l’échelle des spectateurs, cela se traduit par un manque d’offres pour les classes populaires dans le théâtre public, qui continuent toutefois de payer par leurs impôts les créations dont seuls les plus riches bénéficient. Par ailleurs, la très forte segmentation des publics – considérés au travers de l’institution dont ils dépendent : publics scolaires, publics du champ social, publics du milieu carcéral, etc – empêche de penser les individus comme des citoyens à part entière et surtout, ne permet jamais de s’adresser à toute la population puisque les spectateurs qui ne dépendent d’aucune institution ne sont par conséquent jamais visés.

Merci à tous d’avoir écouté cet épisode et à la semaine prochaine pour une nouvelle rencontre hors des sentiers battus.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *